Bouger ou s'ancrer
- Beltzane Obanos
- 29 juin
- 5 min de lecture
Que veut vraiment le corps humain ?

Dans certaines pratiques corporelles, on recherche une posture « ancrée » : bassin en rétroversion, dos droit sans cambrure, jambes pliées.
Cette configuration a un réel intérêt comme « gym douce » : elle soulage les tensions du dos et des articulations dans un monde saturé de chaises, d'écrans et de stress.
Les études confirment d'ailleurs que des pratiques comme le Tai-chi ou le Gigong réduisent efficacement la lombalgie chronique, avec un effet supérieur à la marche, par exemple.
Mais profiter ponctuellement de cette posture ne signifie pas qu'elle doive devenir notre manière « naturelle » de bouger, ni qu'elle constitue la réponse unique ou idéale.
Comprendre le malentendu
Le malentendu ne vient ni des pratiques ni des enseignants — qui, souvent, ont du mal à faire comprendre les nuances de leur approche.
Il pourrait venir de notre époque pressée : dès qu'on découvre qu'une posture apaise le dos ou améliore l'équilibre, on voudrait l'appliquer partout, tout le temps.
On transforme un outil contextuel en règle universelle.
Résultat : on fige ce qui était conçu pour libérer.
Le corps humain est fait pour se déplacer
Notre système musculo-squelettique a co-évolué pour la locomotion dynamique : marcher, courir, changer de direction, sauter.
Fascias, articulations et muscles s'adaptent en continu à l'alternance tension-relâchement ; bloquer le bassin en rétroversion dans ton quotidien va donc à l'encontre de cette logique adaptative.
Un corps vivant a un besoin fondamental de pouvoir se réorienter à tout moment, dans n'importe quelle direction, rapidement, sans douleur ni dépense d'énergie superflue.
C'est cela, une organisation fonctionnelle : celle qui permet de bouger immédiatement, sans préparation ni réajustement.
Tu ne me crois pas ? Mets-toi en position : rétroversion du bassin, dos droit, jambes fléchies, bien « ancré·e »...
Et maintenant imagine qu'un serpent surgit et que ta seule issue est de sauter ou de courir !
As-tu pu bondir directement depuis cette position sans rien réajuster et sans effort ? Ou as-tu dû te réorganiser avant de commencer ta fuite ?
Le neutre : une zone personnelle, pas un chiffre universel
Les modèles statistiques de géométrie lombaire montrent que la lordose « normale » varie énormément d'une personne à l'autre.
Il n'existe pas un angle neutre gravé dans le marbre, mais une zone de confort personnelle où l'effort pour rester disponible est minimal.
L'objectif n'est donc pas d'imposer un alignement « parfait » universel, mais de créer les conditions pour que chacun ressente et retrouve SON neutre — ce point où la respiration se libère, où l'effort disparaît, où le corps est prêt à partir dans toutes les directions.
C'est exactement ce que nous faisons en Feldenkrais : permettre à chacun de découvrir son organisation optimale.
Une fois que le système nerveux a intégré cette nouvelle organisation, elle redevient automatique ; on n'a plus à y penser constamment.
L'organisation neutre humaine place genoux, hanches et chevilles en légère flexion, laisse le bassin libre, sans rétroversion, voire avec une légère antéversion, et un tonus minimal.
C'est un ressort prêt à se déployer, comme on l'observe chez les enfants et chez les athlètes, par exemple.
Le neutre n'est pas une position de repos, c'est un point de départ.
Nous avons un neutre en tant qu'espèce humaine — cette organisation de base qui nous permet de nous mouvoir efficacement — mais aussi un neutre en tant qu'individu, selon notre réalité corporelle, notre histoire, notre morphologie.
Selon notre réalité, nous pouvons avoir, toi et moi, un neutre différent.
Il ne s'agit donc pas de donner un neutre universel mais de proposer le terrain pour que, instinctivement, chacun puisse trouver le sien.
Une rétroversion douce, pratiquée quelques instants, étire la région lombaire, active les fessiers et propose au dos des options motrices qu'il explore rarement — c'est une mobilisation bénéfique.
Mais la maintenir pour toutes les actions de la vie quotidienne réduit la mobilité spontanée, limite la disponibilité directionnelle et perturbe la transmission de force entre sol, bassin et tronc.
Ce que dit la science
Des études récentes montrent que la pré-activation musculaire est la plus efficace lorsque l'on adopte une posture de préparation : genoux et hanches légèrement fléchis, bassin neutre ou en légère antéversion.
Dans cette position, les ajustements posturaux anticipés se déclenchent plus tôt et de façon mieux coordonnée qu'en rétroversion.
Dans tous les cas, la clé reste le mouvement : varier, changer d'organisation, ne pas se figer dans une seule formule.
Les revues de O'Sullivan et van Dieën confirment que la douleur apparaît moins à cause d'une posture spécifique qu'à cause de la rigidité — quand on cristallise toujours la même organisation motrice.
La variabilité protège ; la fixité use.
Note : Je ne suis pas experte dans l'interprétation des études scientifiques. Si vous relevez des inexactitudes dans les recherches évoquées, je serai ravie de les corriger. N'hésitez pas à me le signaler.
Mode d'emploi pratique
En Feldenkrais, nous cherchons la position qui permet l'action dans toute direction sans réajustement et avec le moindre effort.
Pourtant, j'ai souvent du mal à faire sortir les élèves de ce schéma qui consiste à penser que telle ou telle position est « la meilleure pour rester debout ».
Chacun a un neutre en tant qu'humain, mais aussi un neutre en tant qu'individu.
Selon notre réalité corporelle, nous pouvons avoir, toi et moi, un neutre différent.
Il ne s'agit donc pas de donner un neutre universel mais de proposer le terrain pour que, instinctivement, tu puisses trouver le tien.
Quand je me déplace avec le bassin en légère rétroversion pendant ma pratique, j'amène mes muscles lombaires à explorer un territoire qu'ils n'ont pas l'habitude de visiter, avec diverses organisations musculaires.
C'est comme leur proposer des alternatives en même temps qu'un léger étirement sans contrainte, tandis que toutes mes autres articulations sont en mouvement — c'est très bénéfique.
Mais ce n'est pas une position à extrapoler au quotidien comme « posture idéale ».
L'essentiel
Le neutre n'est pas une forme figée ; c'est un état dynamique orienté vers l'action : une base libre, disponible, prête.
Depuis toujours, l'humain ne s'ancre pas ; il se prépare à bouger.
Le problème n'est pas la méthode — c'est notre tendance à vouloir extrapoler définitivement ce qui a un intérêt concret dans un cadre concret.
La solution n'est pas de copier un mouvement, mais de créer les conditions pour une prise de conscience et retrouver une posture et un mouvement fonctionnels.
Alors, bouge ton corps, bouge ta pratique, tes acquis, tes certitudes ; ne te contente pas d'une formule, car la vie est, justement, mouvement et changement.
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